Dernier soir sur Langkawi. Nous avons passé une bonne partie de la journée à chercher le meilleur moyen de rejoindre notre prochaine destination. Rien de simple: les agences proposent toutes des itinéraires compliqués, pour grosse partie en minibus: serrés comme des sardines et conduite en mode Fangio, la plaie. Le tout avec un temps de trajet cumulé de plus de 24 heures.


- L.: Ok, ça me gonfle, ça a l’air compliqué, long, pas spécialement bon marché et on est pas libres du chemin à emprunter.

- R.: J’avoue. En plus on peut même pas décider de prendre le train plutôt que le bus. Mais on n'a pas vraiment le choix, si ?

- L.: Si, on peut aussi y aller à l'arrache.

- R.: C’est à dire ?

- L.: On prend nos sacs, on embarque sur le premier ferry et puis on verra bien.

- R.: (Un temps) Ok. Ça me va.


Et ainsi fut fait: un ferry matinal jusqu’à Satun pour poser le pied en Thaïlande et remplir les formalités douanières. Un transfert express jusqu’à Hat Yai, où nous avons pu attraper le train pour Surat Thani. De là, 5 heures d’un trajet tranquille, confortablement installés à admirer la campagne thaï, tout en esquivant l’épreuve du minibus. Arrivée à Surat Thani en milieu de soirée, juste à temps pour dîner au marché local et embarquer sur le night boat: un bateau de fret qui embarque quelques passagers, presque exclusivement des locaux. Une expérience en soi, loin des ferrys habituels, avec leurs sièges bien alignés et leurs salles climatisées. Nous nous sommes faufilés entre les caisses de légumes et les scooters, avant de nous allonger sur un entrepont de moins d’1m50 de haut, avec le ronronnement des moteurs Diesel et la douce brise de la mer pour nous endormir. Le soleil n’était pas encore levé que nous arrivions en vue de Koh Tao, ravis d’avoir osé cette (petite) prise de risque.


Koh Tao, l’île de la Tortue en thaï, c’est l’endroit où j’ai découvert les joies de la plongée en 2013. Initialement partis pour un modeste Open Water - le premier niveau de plongée autonome - on avait tellement pris notre pied qu'on avait décidé d'enchaîner directement sur le niveau Advanced, aidés en cela par un petit coup de pouce du Dé et une double Pogne mémorable. Depuis, je n’avais plus vraiment eu l’occasion de mettre cette certification à profit.


Koh Tao, c’est aussi l’endroit où ma pote Maud, instructrice de plongée en formation au moment où j’écris ces lignes - mais vraisemblablement confirmée au moment où vous les lirez - a choisi de poser ses valises, en compagnie de son chéri Fred.


C’est dire si j’avais de bonnes raisons de vouloir retourner y faire un tour, sur notre route vers Bangkok. Et nous n'avons pas été déçus du détour. De l’avis presque unanime, Koh Tao est un des meilleurs spots au monde pour la plongée sous-marine (que ce soit en mode snorkeling ou scaphandrier), et certainement celui où il est le plus aisé d’apprendre. Dès avant notre arrivée, Maud avait eu la gentillesse de nous booker un logement. Tropicana Resort, un petit village de bungalows, à côté de la plage de Chalok, la plus calme des trois que compte l’île. Chambres simples mais propres, et personnel aux petits oignons, 450 bahts la nuit. Pile ce qu’il faut pour ne pas avoir à se soucier d’autre chose que du fond de l’eau. Le premier jour c’est l’installation, et l’organisation pour les jours à venir: inscription chez les French Kiss Divers - club franco-français à l’ambiance sympatoche où bossent Maud et Fred - essayage du matériel et planification des plongées. Nous sommes samedi, Maud doit passer ses examens à partir de mardi. Ça tombe bien, c’est la date à laquelle nous avons prévu de repartir, ce qui nous laisse deux belles journées pour plonger ensemble.


Au final, j’en ferai 6, de plongées, sur trois matinées (vous comprenez, y avait une réduction à partir de 6, c’était obligé…). Les deux premiers jours avec Maud, sur des sites que j’ai déjà eu l’occasion d’explorer en 2013. Réveil à l’aube pour retourner voir Chumphon Pinnacle, Twin Peaks, White Rock, et surtout le HTMS Sattakut, un destroyer de la deuxième guerre mondiale que la Navy Thaï a offert à Koh Tao, et qui a été sabordé à quelques lieues de la plage pour servir de terrain de jeu aux plongeurs. L’émerveillement est intact. Planer à quelques centimètres de ce mastodonte d’acier, à 20-30 mètres de profondeur, voire ses canons et ses coursives encore intacts, observer la vie qui s’y développe, les poissons qui se faufilent dans les moindres interstices est tout simplement fascinant. De nouvelles espèces à découvrir aussi: notamment une blue spotted stingray, une magnifique raie à points bleus. Une murène, ou encore un flatworm, un ver plat, d'une espèce surnommée "Tapis persan". Maud nous fait aussi débusquer des espèces minuscules, c’est son grand kif’. De microscopiques crevettes, planquées dans les branches d’une anémone. Ou des spider crabs, sortes de petits crustacés qui s’accrochent le long des fils de corail. Peut-être moins impressionnant que les grosses bestioles, mais tout aussi enrichissant: sous l’eau comme partout, le monde ne se limite pas qu’à ce qui est visible au premier coup d’oeil. Je me mets à imaginer un journal d’observations en mode Pokémon: Gotta watch‘em all ! ^^


Rose ne peut hélas pas m’accompagner pour la plongée-bouteille: un instructeur peu consciencieux et une sensibilité persistante des oreilles l’ont vaccinée pour de bon. Pas grave, elle se rabattra sur le snorkeling, qui trouve ici quelques très beaux spots. Je l’ai accompagnée à deux reprises, notamment lors d’une cocasse balade en kayak pour rejoindre une crique un peu à l’écart, où je suis parvenu à m’entailler le pied sur les rochers tandis que l’orage menaçait. Mais le jeu en valait la chandelle, et c’est d’ailleurs lors de ces sorties que j’ai pu prendre mes quelques photos sous-marines. La preuve qu’il n’est pas besoin d’être un plongeur chevronné pour en prendre plein la vue par ici.


Entre deux explorations des fonds marins, Koh Tao nous a aussi permis de renouer avec la nourriture Thaï. Merci à nos hôtes pour l’excellente suggestion du Tuktah, petit resto sur Chalok qui malgré un service au rythme insulaire (comprenez: LENT), a réussi à nous faire revenir 3 fois en deux jours. Je dois bien avouer que malgré ses méritoires efforts, la cuisine malaisienne n’est pas parvenue à détrôner la thaï dans mon coeur. Je l’ai réalisé à la première bouchée. Les succulents Currys, verts ou rouges, Panang ou Masaman. Les fameuses Laab, salades de porc, de boeuf, de poulet ou de calamar, et blindées de coriandre, de piments et de citronnelle. Ou la découverte du Mu Kratha, ingénieuse formule qui combine barbecue coréen et fondue thaï dans un même ustensile. Même les desserts, qui ne me font généralement pas trop fantasmer, réussissent à me faire de l’oeil. Comme le Kluai Buat Chi , une banane simplement pochée dans un mélange de crème et de lait de coco. Si cela vous met l’eau à la bouche, ça fonctionne aussi avec de la mangue, voire avec du potiron. Tuerie quoiqu’il en soit.


Le troisième jour, alors que Maud doit se concentrer sur sa certification, c’est Marie, une autre instructrice des French Kiss Divers, qui nous emmène en balade. Deux tous nouveaux sites pour moi: Southwest Pinnacle & Shark Island. Avec à la clé, quelques nouvelles rencontres: un serpent de mer d’un bon mètre et demi de long. Un bébé murène, ou encore un redoutable spécimen de poisson-baliste, qu'ici ils ont baptisé "Rambo". Contrairement à ce que l’on pourrait penser vu la présence de requins (tous inoffensifs), le Baliste titan est l’un des animaux les plus agressifs que l’on peut croiser à Koh Tao. De prime abord, il n’a pas l’air bien méchant. Mais quand il se met en chasse, il relève l’aiguillon qui longe son épine dorsale - d’où son nom de baliste, I guess. A ce signal, mieux vaut se faire tout petit, de préférence plus bas que l’animal: ses dents acérées peuvent infliger de très vilaines blessures, quand elles ne vous auront pas carrément arraché un lambeau de chair (checkez "Titan Triggerfish wounds" dans Google Image pour rire). ^^ Heureusement pour nous, Rambo semblait dans un bon jour et s’est contenté de nous regarder passer de loin.


Enfin, une demie-heure avant de remonter vers la surface, notre petit groupe traverse le plus impressionnant récif de corail que j’ai pu admirer jusqu’ici. Une véritable forêt sous-marine, superbe patchwork de formes et de couleurs vives jusqu’à perte de vue, animée par toute la diversité de la faune aquatique. J’ai du faire gaffe pour garder la bouche fermée (quand on est sous l’eau, c’est mieux). Moment précieux, souvenir gravé, je pouvais pas rêver mieux pour clôturer ces retrouvailles.


Car ainsi s’achève, déjà, ma dernière plongée sur l’île de la Tortue: notre ferry pour Chumphon, d’où nous rejoindrons la capitale, est programmé pour l’après-midi. Juste avant de le reprendre, nous allons faire un dernier bisou à Maud et Fred, dont les examens commencent dans une heure à peine. Merci à vous pour les bons plans et les chouettes moments, on espère vous recroiser vite, sur terre ou au fond de l’eau. ;)


Je commence à écrire ces lignes dans le train de nuit pour Bangkok. Confortable et tranquille, à l’image du pays du Sourire. Nous arriverons demain matin à la gare de Hua Lumpong, en plein centre, et Rose aura deux belles journées pour profiter de la ville, avant de reprendre son vol vers l’Europe.


Et pour moi, presque un tiers de l’aventure dans le rétroviseur.


Le temps passe vite quand on est heureux. :)


[A suivre: Chapitre 10 - Lonely Bangkok]