Bangkok. Good time city, gateway to southeast Asia. Where dollars and deutschmarks get turned into counterfeit watches and genuine scars.


C’est par ces mots que Richard, le héros de The Beach, dépeint la ville qui constituera le point de départ de sa quête initiatique sur le thème du paradis perdu et de l’innocence. Un récit qui a sans doute contribué à envoyer une génération entière sur les routes, sacs sur le dos, en quêtes d’expériences de vie autres que matérielles.


Comme Richard, je passe donc quelques jours à Bangkok. Comme lui, j’y serai seul une grosse partie du temps. Et comme lui, j’ai trouvé refuge dans le dortoir d’une petite pension. La comparaison s’arrête là. Personne ne m'a proposé de boire du sang de serpent, et aucun allumé n’est encore venu m'offrir la carte d’une île secrète sur laquelle une communauté vivrait en harmonie à l’abri des vices et dérives du monde moderne. Heureusement pour moi. Il faut dire qu’à l’inverse de Richard, je me suis soigneusement tenu à l’écart de Khao San Road, le très particulier quartier des backpackers.


C’est mon deuxième séjour dans la capitale thaïlandaise. Plus que de l’attirance pure, Bangkok exerce sur moi une sorte de fascination. De toutes les villes que j’ai visité, c’est certainement celle qui incarne le mieux le fantasme Cyberpunk, cet univers littéraire popularisé par des œuvres telles que Blade Runner, Totall Recall ou Akira : gigantesques tours de verre et d’acier dont le sommet abrite les élites dans un confort ultra-technologique tandis que dans les niveaux inférieurs, combines et débrouille rassemblent ou divisent la plèbe, réseau de transports tentaculaire et enchevêtré, écrans publicitaires démesurés diffusant en permanence un halo luminescent sur les êtres et les structures environnantes. Tout y est. Tout s’y trouve. Y compris, souvent, ce qu’on n’est pas venu y chercher.


Pour les deux derniers jours de Rose en Asie, nous aurons passé assez peu de temps ensemble. Une gaffe de ma part dans la réservation d’hôtel nous a basés juste à côté de l’aéroport (mais à 30 km du centre). Ma comparse était évidemment et légitimement impatiente de découvrir la ville. Pour ma part, j’étais ravi d’y revenir, mais pas forcément chaud pour refaire les incontournables spots touristiques tels que le Grand Palais. Arrivés depuis Koh Tao vers 06.00 par le train de nuit et partis directement en exploration, j’ai quand même tenu jusqu’à presque midi, à (re)visiter Chinatown sous une chaleur étouffante et le poids de mon sac à dos. Avant de jeter l’éponge et de partir pour notre hôtel; havre de paix: très cosy, bien tranquille, et doté d’une magnifique piscine à débordement, à défaut d’être bien situé.


Des deux premiers jours donc, pas grand-chose à raconter de mon côté. La découverte du Wat Samit, où trône une statue de Bouddha de 3 mètres de haut et de plus de 5 tonnes, intégralement constituée d’or 18 carats. Un dernier repas en demi-teinte dans une chaîne chinoise et un verre au Red Sky, époustouflant rooftop perché au 55ème étage d’un gratte-ciel, et qui sert des cocktails hors de prix mais vraiment délicieux (Cinnamon Fizz, belle découverte). Un baptême en taxi-moto, où j'ai quasiment risqué ma vie pour que Rose puisse récupérer son sac à la consigne dans les temps. ;) Le lendemain, un dernier massage à côté de l’hôtel et c’est déjà l’heure des adieux. J’accompagne ma comparse au taxi qui l'emmènera à l’aéroport. On se prend dans les bras l’un de l’autre, le cœur un peu serré. Merci pour tout Rosinette. Peu importent les personnalités et la complicité, passer 3 semaines H24 avec quelqu’un au bout du monde reste toujours un challenge: de mon point de vue, on s’en est très bien sortis, et je suis heureux d’avoir fait ce bout de chemin avec toi. <3


Enfin, même si cela nous regarde, mais pour stopper les rumeurs avant qu’elles ne deviennent lourdingues: non, il ne s’est rien passé entre nous. Rien à part beaucoup d’affection, un peu de tendresse et une large dose de complicité autour de la nourriture et de l’émerveillement. Faut l’avouer, nous avons beaucoup ri lors de notre “lune de miel” à Langkawi, en prenant les photos qui feraient mousser les incorrigibles curieux qui lisent ces lignes (bisous Alexandre, Stéphane, Thomas et tous les autres). Mais réjouissez-vous, car vous pouvez désormais penser à LA vraie question: est-ce que je vais parvenir à pécho Jérôme ? ^^


Quoiqu’il en soit, me voilà seul, durant 4 jours. Pour l’animal social que je suis, c’est une sentiment d’appréhension mêlé à une sensation de totale liberté. Appréhension qui se dissipe très vite: à peine arrivé à ma nouvelle guesthouse, en plein centre de Bangkok cette fois, je me retrouve à discuter pendant plus d’une heure avec Andréa, une allemande expatriée à Bali. C’est sa première fois ici et au fil de notre conversation, des infos que je lui fournis et de son enthousiasme, je réalise que je commence - toutes proportions gardées - à bien connaître la ville. Sentiment gratifiant: l’Asie, j’en ai toujours rêvé. Aujourd’hui, je commence à être en mesure de prodiguer quelques conseils la concernant. Et je ne compte évidemment pas arrêter mon apprentissage ici. La discussion s’achève sur la décision d’aller manger ensemble le soir. En attendant, découverte du LüZ Hostel, la guesthouse où je loge. Idéalement située à côté de Thanon Sukhumvit et à 5 minutes d’une station de BTS, le métro aérien de Bangkok. Ultra-moderne, clean et confortable, décorée avec goût. Une seule chambre disponible dans tout le bâtiment, mais au dernier étage, un dortoir-capsule où chaque lit s’insère dans une sorte d’alcôve, et qui fournit presque le même niveau d’intimité qu’une - petite - chambre. 450 bahts la nuit, 11 EUR. Je m’y sens d’emblée super bien, et l’idée de l’avoir comme base de repli me rend serein.


En 4 ans, et sans vouloir faire mon baroudeur blasé, j’ai pu observer les évolutions qu’à connu la ville. Les stands de street-food existent toujours, mais se font plus rares (en tout cas dans les quartiers que j’ai fréquenté). Les malls poussent comme des champignons sous stéroïdes, de plus en plus nombreux et de plus en plus grands. On y trouve encore quelques petites échoppes indépendantes, mais elles tendent à perdre du terrain face aux grandes enseignes de prêt-à-porter et de matériel hi-tech.


D’autres choses ne changent pas. La circulation est toujours aussi chaotique, les rues sont à jamais surplombées par des fatras de câbles électriques, on y mange extrêmement bien, et, à condition de se tenir éloigné des grandes marques, la vie y reste très abordable. La chaleur y est toujours aussi écrasante, même si la climatisation est omniprésente. Les marchés de nuit regorgent de vêtements de qualité correcte à des prix très abordables: en gros, pas la peine de venir avec vos sacs plein, vous pourrez toujours vous rhabiller sur place.


Depuis mon arrivée en Thaïlande, j’ai été marqué par les marques d’affection de la population envers le roi Bhumibol Adulyadej - dit Rama IX - qui, au jour de sa mort était le plus ancien chef d’état en exercice, après plus de 70 ans de règne. Son décès remonte à presque un an, et pourtant on croise encore très régulièrement des autels de condoléances, de tailles diverses, un peu partout dans le pays. C’est vrai dans toutes les villes que j’ai traversé, à Bangkok cela saute aux yeux. Dans les lieux publics, mais également dans des enseignes privées telles que banques, grands magasins, ou même des habitations individuelles.. Sur certains murs et t-shirts, se décline l’inscription “I was born during the reign of Rama IX”. Quoique l’on puisse penser de la monarchie, il est touchant de voir un peuple aussi largement uni derrière une personnalité et le symbole qu’elle représente. Une autre chose qui m’a frappé: on croise sur les trottoirs de Bangkok beaucoup moins de sans-abris et de mendiants qu’à Bruxelles, où leur nombre a explosé ces dernières années. Est-ce une question culturelle ? Est-ce que parce que la solidarité fonctionne mieux et que les personnes sans ressources sont plus rapidement pris en charge, au moins pour leurs besoins primaires ? Ou bien est-ce simplement parce qu’ils se concentrent dans des quartiers que je n’ai pas visité ? Je l’ignore, mais le constat reste interpellant.


Parmi les souvenirs que je garderai de ces quatre jours en solitaire: une visite au Wat Saket (ou Golden Mount), un temple nettement moins célèbre que celui du Grand Palais, mais à l’ambiance tellement plus zen. Juché sur une colline, il offre une jolie vue sur toute la ville, après une ascension en pente douce. Des dioramas sculptés retracent l’histoire du temple, de manière ludique et instructive. La réparation - joie ! - de mon appareil photo en deux heures montre en main, un vendredi à 15.00, et qui est l’occasion de redire tout le bien que je pense du service clientèle d’Olympus. Quelques heures dans une salle d’arcade, plaisir totalement infantile et assumé. Un massage thaï version hardcore mais bien revigorant. Le Food Court du Siam Paragon, immense centre commercial qui occupe l’équivalent d’un pâté de maisons, et que j’ai regretté de ne pas avoir découvert plus tôt: j’aurais pu y manger à tous les repas pendant 4 jours pour goûter tout ce qui me faisait de l’oeil. Un véritable temple de la nourriture, partagé entres enseignes improbables (notamment des comptoirs de chez Harrod’s ou Ladurée), occasions manquées (vous le saviez vous, qu’il existait une chaîne japonaise spécialisée dans les gyozas ?), et petits stands individuels sans enseigne qui proposent de la nourriture thaï et asiatique à des prix très abordables. L'endroit comporte même une méga-épicerie fine, du même acabit que Rob chez nous: assez surprenant dans un pays quasiment dépourvu de supermarchés. Bref, une vraie chouette découverte qui je l’espère, parviendra à conserver cette diversité et cet équilibre dans l’offre qui font tout le charme de l’Asie.


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Matin du lundi 4 septembre. Je m’apprête à quitter Bangkok sans fausse montre ni vraie cicatrice, mais avec encore un peu plus de fascination et d’attachement pour cette ville en mutation permanente. Petit-déjeuner avalé, un hug à Andréa et à l’adorable réceptionniste de LüZ guesthouse, et me voilà parti. Il est 07.45, le bus de la Nattakan Lines qui doit m’emmener au Cambodge démarre à 09.00, ce qui, compte-tenu du trajet, me laisse un bon 40 minutes de marge. J’arrive au bout de la ligne de métro, au plus proche de la station de bus de Mo Chit. Il est 08.20, je suis large. J’avise un moment les taxis qui attendent le long de la rue. Un joli parc me sépare du terminal, il fait beau, autant ne pas faire ma feignasse et marcher un peu. Je me lance, j’avance d’un bon pas et arrive assez rapidement de l’autre côté du parc. Sans trouver d’issue. Et pour cause: il est longé par une autoroute qu’il est hors de question de traverser à pied. 08.35, ça va le faire. Les 14 kilos de mon sac pèsent lourd, et le soleil cogne dur malgré l’heure matinale. Je continue à chercher un moyen de sortir du parc et de traverser la voie. Sans succès. Je commence à éprouver un mélange de stress et de frustration: je dois être à moins de 500 mètres de la station de bus, mais sans possibilité d’y accéder.


Péniblement, et grâce aux indications des nombreux jardiniers, je trouve une sortie. Je me retrouve le long d’une voie rapide, difficile à traverser. 08.50, ça devient tendu. Je hèle un taxi. Qui ne s’arrête pas. Un deuxième, puis un troisième, qui enfin, ralentit. “Mo Chit 2 ?”, en insistant bien sur le 2 : le nord de Bangkok comporte deux terminaux de bus portant le même nom mais distants de plusieurs kilomètres. Nous voilà partis. Il est 08.53, mais c’est juste à côté, tout va bien. Je confirme auprès de lui: “Mo Chit 2 Bus Terminal ?”. Il semble hésitant, s’arrête un peu plus loin et m’indique un parking où sont garés quantités de bus. Soulagement. Je paie, je descend, et à mesure que je traverse le parking, le stress me reprend: ce sont des bus publics locaux, rien à voir avec le gros autocar qui doit me faire passer la frontière. J’enrage, en voyage je n’ai jamais raté un transport, ce n’est pas aujourd’hui que ça va commencer. Et pourtant... Aucun guichet à l’horizon, juste des habitants du coin qui s’apprêtent à partir au travail. Je croise une anglaise à qui je demande mon chemin. Sa réponse: “Oh, do you have three days ?”. Cet abruti de taximan m’a déposé au mauvais endroit. 08.58. Ça y est, c’est mort. J’ai loupé mon bus.


Il est 09.00. Je suis trempé de sueur et à bout de souffle, mais confortablement installé dans le bus Bangkok-Siem Reap de la Nattakan Lines. J’avale une grande gorgée d’eau fraîche. Sur les sièges d’à côté, deux jeunes japonaises me regardent en rigolant. Je leur réponds par un sourire et un clin d’oeil complice. Like a boss. ;)


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[Le même jour, 5 heures plus tard] Je me trouve à une centaine de kilomètres de ma destination. Je suis assis sur une chaise en plastique le long d’une rue miteuse. La pluie commence à tomber, et je ne rigole plus du tout....


[A suivre: Chapitre 11 - Rendez-vous en terre inconnue]