4 heures et une rapide course en tuk-tuk plus tard, Poipet n’est déjà plus qu’un mauvais souvenir. Me voici à destination, à l’adresse que m’a transmis Jérôme.


Jérôme, c’est un pote que j’ai rencontré il y a deux ou trois ans autour d’une table de poker. Lorsqu’il a appris que je partais pour 3 mois en Asie, il m’a confié son envie de visiter la région et m’a proposé de nous coordonner pour nous y croiser, en me précisant qu’il serait accompagné d’Olivier, un ami non-voyant. Et nous voici donc, à peine quelques semaines plus tard, prêts à découvrir le Cambodge ensemble.


Les retrouvailles sont chaleureuses: après mes péripéties frontalières, retrouver des visages amis est vivement apprécié. Sur proposition de Jérôme, nous avions réservé deux nuits à la Villa Nanda: guesthouse un peu excentrée mais pleine de charme, petite piscine ombragée et chambre très luxueuse. 13 EUR par personne et par nuit, et en bonus, un couple de propriétaires aussi charmants qu’efficaces.


Nous voici donc posés à Siem Reap. Ce nom ne vous dit peut-être rien, et c’est normal: la ville est surtout célèbre pour être voisine d’Angkor, la mythique capitale de l’empire Khmer. L’ambiance y est très différente de ce à quoi on peut s’attendre à proximité d’un site tellement chargé d’histoire: bars à cocktails, western food et boîtes de nuit abondent dans Pub Street, la principale artère du centre-ville. Assez déroutant quand on vient avant tout pour se perdre dans les vestiges d’une civilisation disparue. Les tuk-tuks, ces véhicules typiques de l’Asie du Sud-Est sont aussi présents en masse, avec leur conception locale: ici, ce sont des mobylettes auxquelles sont attelées de petites remorques pouvant accueillir 4 ou 5 personnes. Marrant et impressionnant, quand on en croise qui servent à transporter des meubles, voire du bétail !


Après un premier repas - retest du Mu Kratha, le BBQ thaï, rebaptisé ici BBQ khmer (ben voyons) - nous discutons un peu du programme. Le billet pour accéder à l’ensemble des temples revient à 37 dollars la journée et 62 dollars pour trois jours. Ah oui, quand même. Abordable selon les standards européens, mais sur un budget quotidien de 40 dollars, ça pèse lourd. Décision collégiale: nous resterons trois jours sur place.


Le premier sera consacré à la visite d’Angkor Thom, cité royale de la fin du XIIème siècle et située juste à côté d’Angkor Vat: moins célèbre mais tout aussi impressionnante. Dans son ensemble, Angkor fut l’une des plus grandes villes médiévales du monde: cela donne une idée de l’immensité dans laquelle nous déambulons, guidés par Sarorn et son tuk-tuk, que nous avons engagés pour la journée.


Le spectacle que nous offrent ces sites sacrés est magique. Partout, l'enchevêtrement entre le chaos de la végétation et la pierre immuable, le contraste entre le gris des temples et l’émeraude des arbres fromagers composent des tableaux aussi fantastiques que bien réels: comme dans le Taman Negara, je plonge droit au coeur des aventures de Sandokan, d’Indiana Jones ou de Bob Morane. Malgré la chaleur et l’humidité, je savoure à fond ces images que jusqu’à présent, je n’avais pu voir qu’en photo.


Le lendemain, Jérôme nous a proposé d’aller visiter le Kompong Pluk, un village flottant sur le Tonlé Sap, le plus grand lac d’Asie du Sud-Est et situé en plein milieu du Cambodge. Sarorn nous dépose à l’embarcadère après une bonne heure de tuk-tuk. Dépaysement total. Nous sommes seuls sur le bateau, et remontons la rue principale, ne croisant que de loin en loin l’un ou l’autre couple de touristes. Aucun passage à sec: tout le monde se déplace grâce à de petites embarcations, y compris les groupes d’enfants qui jouent entre les maisons. Les villageois vaquent à leurs occupations et discutent d’une pirogue à l’autre. Le reflet des cahuttes aux teintes bleutées se confond avec l’eau du lac, et offre une pause rafraîchissante dans le vert de la jungle et la visite des temples. Nous terminons l’après-midi par une balade en pirogue dans la mangrove voisine et un lunch dans le village. Découverte de l’amok, curry cambodgien à la chair de noix de coco. Avec la salade de fleurs de bananiers de la veille, ce sera l’un des seuls plats digne d’être mentionné lors de notre séjour à Siem Reap. Le soir, tandis que Jérôme est parti se faire masser, je prends l’apéro avec Olivier: l’occasion de découvrir un personnage hors-norme, comme vous pourrez le lire un peu plus bas.


Le troisième jour enfin, nous nous levons à 04.30. Objectif: voir le soleil se lever sur Angkor Vat. Beaucoup de monde, mais pas assez pour gâcher le moment: quiétude des lieux, atmosphère solennelle, chaleur qui monte à mesure que les rayons se font plus lumineux derrière ce site sacré et presque millénaire, c’est un instant rare que nous partageons. Nous pénétrons ensuite dans l’enceinte du temple. Les dimensions et le niveau de conservation de l’ensemble sont impressionnants. Lieu de culte tantôt hindouiste, tantôt bouddhiste, mais toujours en activité, Angkor Vat fut construit au début du XIIème siècle par le roi Suryavarman II, afin de servir de temple d’état et de capitale. La plupart des murs sont recouverts de bas-reliefs très bien conservés où se mêlent légendes locales - comme le “Barattage de la Mer de Lait”, célèbre mythe de la philosophie hindoue - et scènes des innombrables batailles contre les Chams, qui ont jalonné l’histoire de l’empire Khmer. Impressionnant spectacle, et petite leçon d’humilité: le rappel que les plus grandes civilisations meurent et disparaissent, et que malgré le sentiment de toute-puissance de l’Occident, nous ne sommes pas à l’abri. Nous finissons cette journée par le Big Tour; 5 temples des environs: le Preah Khan, le Ta Som, le Preah Neak Poan et d’autres dont le nom m’échappe. Je dois bien l'avouer: la fatigue, la chaleur et le harcèlement incessant des vendeurs installés le long de chaque chemin, font que l’émerveillement laisse place à un début de lassitude. Cela peut sembler incompréhensible, voire ingrat d’éprouver un tel sentiment ici, mais c’est ce que nous ressentons tous les trois. Nous finissons néanmoins la visite, avec encore quelques belles images à imprimer dans notre mémoire.


Durant tout ce temps, j’apprends à connaître Olivier, qui malgré son handicap, nous accompagne partout et n’est jamais le dernier à gravir temples et échelles pour vivre l’expérience avec ses sens. De temps à autre, j’aide Jérôme à le guider, lui proposant mon bras et décrivant les merveilles qui nous entourent du mieux que je peux. C’est la première fois que je voyage avec une personne non-voyante, et au delà de la difficulté, c’est une expérience enrichissante. Il faut dire que la personnalité d’Olivier aide beaucoup: d’un naturel aventureux (voire téméraire), c’est un grand amateur de découvertes qui a déjà pas mal bourlingué, parfois accompagné, parfois seul. Jérôme me l’a confié: “c’est pas compliqué, c’est le seul de mes potes qui est toujours prêt à partir en voyage”. Olivier a déjà tenté de rejoindre la Bretagne en auto-stop, seul. Il a passé plusieurs mois en Afrique dans le cadre d’un projet humanitaire, a gravi le Mont-Blanc et le Cotopaxi, sommet de 5.900 mètres en Equateur. Durant les quelques jours que nous avons passé ensemble, jamais je ne l’ai entendu se plaindre, ni rechigner. Source d’inspiration et petite piqûre de rappel: être valide et en bonne santé est une chance inouïe et à l’avenir, je tâcherai d’encore plus réfléchir avant de râler pour des broutilles. Big up à Jérôme aussi; accompagner une personne moins valide reste une responsabilité et engendre forcément des contraintes: un choix qui démontre un solide degré d’altruisme. Respect à toi buddy ;)


Quoiqu’il en soit le temps file, et je ne resterai pas très longtemps avec mes deux compagnons du moment: ils repartent dans une semaine depuis Phnom-Penh. Nous nous sommes mis d’accord sur notre destination suivante; préférant toujours éviter l’avion, je propose à mes deux camarades d’emprunter le bus de nuit. C’est une expérience nouvelle pour eux, mais après quelques hésitations, ils acceptent de bon gré. Nous serons donc demain, si tout se passe bien, à Kampot, petite ville posée sur la côte sud.


Jeudi soir à 23.00, nous prenons la route après un dernier repas similaire à tous ceux que nous avons pris à Siem Reap: facilement oubliable. D’autres retrouvailles sont au programme: c’est à Kampot que mon cousin Geoffrey, qui parcourt également l’Asie en ce moment, a prévu de nous rejoindre.


[A suivre: Chapitre 12 - Pour quelques pincées de poivre...]