Le trajet en bus de nuit de Siem Reap à Phnom Penh fut, sans grand surprise, tranquille et relativement confortable. De là, nous devions encore rejoindre Kampot; histoire de ne pas perdre trois heures à attendre la correspondance, nous avions choisi l’option du taxi privé: divisé par 3, le prix était équivalent à celui d’un ticket de bus. Cette course-là fut tout sauf reposante: la faute au chauffeur, sans doute en manque de sommeil, qui alterna les 150 kilomètres de route entre station debout sur le klaxon, et dépassements plus qu’hasardeux. En tout cas, c’est le le récit que m’en firent Jérôme et Olivier puisque j’avais rapidement pris le parti de dormir autant que possible: ça passe plus vite et tant qu’à faire, autant être déjà inconscient si l’accident doit survenir. :p


Notre premier contact avec Kampot fut peu engageant. Rues sales, bâtiments en mauvais état et pas vraiment de cachet, alors que justement, le Lonely Planet vantait l'atmosphère et l’architecture de la ville comme étant ses principaux attraits. Même la guesthouse que nous avons réservé, Pink Sands, n’avait rien de palpitant: chambres spacieuses et propres constituaient son principal attrait. Tout au plus la rivière bordant la propriété lui donnait un peu de charme. Bref, we’ll see. En attendant, le bus de nuit n’ayant offert qu’un repos très relatif à mes compagnons d’aventure, nous décidons d’une journée calme et d’une bonne sieste, après un lunch à l’Epic Arts Café, chouette cantine qui emploie des personnes moins-valides, sourdes ou amputées à cause des mines anti-personnelles. Joli projet, doublé d’une cuisine succulente: je me régale d’une salade croquante du Kerala, à base de cresson d’eau, de poivrons et de noix de coco fraîche râpée. Nous y retournerons d'ailleurs plusieurs fois lors de notre séjour dans la ville.


Le soir, après la sieste et une après-midi de flânerie à l’hôtel, Jérôme nous invite au Rikititavi, restaurant recommandé tant par le proprio de notre hôtel que par le Lonely Planet. Tuerie, un vrai moment de gastronomie. Amuses-bouches typiquement khmers: de petits chaussons frits et farcis à la viande de boeuf épicée, à tremper dans une sauce aigre-douce. Pour suivre, un burger au poivre de Kampot. Viande cuite comme il faut, sauce au goût de poivre bien équilibré, et vraies bonnes frites. Yummy. De son côté, Olivier s’est lancé sur le Kebab, et les deux belles brochettes de boeuf qu’il reçoit sont également des plus appétissantes. On ne sait toujours pas ce que Kampot a à nous proposer niveau culturel et activités, mais du point de vue nourriture, c’est très bien engagé.


Et justement, le lendemain, location de scooters et direction “La Plantation”. Mais plantation de quoi ? Comme vous l’aurez peut-être deviné, la grande spécialité du coin c’est la culture du poivre. Premier produit du Cambodge à bénéficier d’une Indication Géographique Protégée, le poivre de Kampot est célèbre dans le monde entier et est utilisé par les plus grands chefs. Nous voici partis, j'ouvre la voie en scooter, suivi par Jérôme et Olivier, tous les trois impatients de découvrir ce produit dont nous avons tant entendu parler. Mais mini-stress et confusion sur la route font que l’on se perd de vue. Pas de trace d’eux, je décide de faire demi-tour pour m’assurer qu’ils ne leur soit rien arrivé. C’est quand j’arrive à la guesthouse qu’enfin, j’arrive à joindre Jérôme; ils ont décidé de pousser jusqu’à la Plantation et m’y attendaient, un peu inquiets de ne pas me voir arriver. Pas de bol. L'heure est déjà trop avancée pour repartir, et je passe le restant de l’après-midi à siroter des bières en discutant avec Simon, le propriétaire de notre pension, expatrié d’origine canadienne. Personnage sympathique quoiqu'un peu ambigu, pas un mauvais bougre mais animé d’un vieux fond d’esprit colonialiste, il reste une mine d’informations sur Kampot et ses environs.


Et on doit bien l’admettre, la ville nous a séduit: nous décidons d’y rester un jour de plus. Du coup, le lendemain, nous partons à l’assaut de la montagne avoisinante: direction la station climatique de Bokor. Route lisse comme du marbre, température parfaite, traffic presque inexistant: tous les ingrédients pour une très agréable balade en deux-roues, ponctuée de quelques arrêts pour profiter des points de vue. Arrivés au sommet, c’est un spectacle irréel qui s’offre à nous: bâtiments abandonnés émergents de l’épaisse brume qui recouvre la montagne, vestiges d’un ambitieux projet touristique qui n’aura pas réussi à prendre. Un peu plus loin, une église abandonnée achève de nous plonger dans un paysage digne d’un film d’horreur. Le plus surprenant reste à venir: un arrêt à Popokvill Waterfall, jolie chute d’eau le long de la route. A côté de celle-ci, un gigantesque restaurant self-service, quasiment désert. Du décor de Silent Hill, on passe à celui de la Corée du Nord, et ses installations totalement disproportionnées par rapport aux personnes présentes. Encore un peu plus haut trône un immense casino, financé par de l’argent chinois douteux et digne de Las Vegas, s’il n’était pas entièrement vide. Une anomalie de plus au sommet de cette montagne à l’ambiance décidément très particulière. Il reste encore quelques spots à voir, mais le brouillard devient plus dense, et une fine pluie commence à tomber. Nous n’avons pas envie de devoir faire tout le trajet retour sous la pluie, et, à l’inverse de tous les héros de films d’horreur qui finissent mal, nous décidons de rebrousser chemin.


Le soir, mon cousin Geoffrey, qui a perdu plusieurs heures dans les embouteillages de Phnom-Penh, finit par arriver. Pour fêter ces retrouvailles familiales, dîner au Veronica’s Kitchen, autre restaurant du bord du fleuve, et encore une agréable découverte culinaire: Moan Term, du poulet cuit dans un bouillon aux champignons noirs, cacahuètes concassées, ail et poivre de Kampot. Délice.


Pour notre dernier jour à Kampot, Jérôme et Olivier, qui reprendront bientôt l’avion du retour, aimeraient aller se reposer au soleil en poussant jusqu’à Kep, station balnéaire toute proche, et Koh Tonsay, dîte l’île du lapin. Je suis moins pris par le temps et donc moyen tenté par ce programme: un mal pour un bien, j’en profite pour partir avec Geoffrey à la visite de la plantation que j’ai loupé la veille. Balade en scooter à travers la campagne cambodgienne, avant d’arriver sur un beau domaine, posé entre les routes de terres qui sillonnent les collines environnantes. Les bâtiments, bien que récents, ont été construits dans le respect de l’architecture locale. Le temps de prendre un rafraîchissement, et deux cambodgiens nous offrent une présentation très complète sur l’histoire de la plantation, et sur la production du poivre. Deux variétés sont cultivées ici: le poivre long (piper longum), et le piper nigrum. Celui-ci donne le poivre vert (poivre frais), noir (séché après récolte à maturité), rouge (récolté à un stade intermédiaire de maturation) ou blanc (poivre rouge dont on a enlevé la peau). A la dégustation qui s’en suit vraie découverte pour le poivre frais conservé dans le sel, un régal à parsemer sur une salade ou à croquer pour l’apéritif. J'ai évidemment pris soin d'embarquer quelques échantillons, à bon entendeur... ;)


Enfin, l’endroit cultive aussi le poivre le plus rare du monde: le poivre des oiseaux. A l’instar du Kopi Luwak, ce café indonésien récolté dans les excréments d’une civette, le poivre des oiseaux nécessite un petit coup de pouce de la nature: ici, un petit passereau, le bulbul golavier, qui se régale du péricarpe (la peau) du poivre, et recrache le grain après un bref passage dans son jabot. Au contact de la salive de l’oiseau, le grain subit une réaction enzymatique qui développe des arômes très particuliers de fleurs et d’écorce d’agrume. Les grains doivent ensuite être récoltés un par un, à la main, autour de la propriété et des endroits où nichent les oiseaux, avant d’être triés et séchés. Ce travail d’orfèvre se répercute évidemment sur le prix, qui atteint des sommets: plus de 300 EUR le kilo, contre 50-60 pour le poivre noir de la plantation.


Nous enchaînons sur la visite de la plantation proprement dite: d’immenses abris, confectionnés à l’aide de feuilles de palmiers, protègent les plants des rayons du soleil, nocifs pour la plante au début de son développement. Outre le poivre, l’endroit cultive aussi le curcuma, dispose à proximité de salins ainsi que de quelques plants de Pitaya, le fameux fruit du dragon, aussi insipide que beau à regarder. Les bénéfices tirés de la vente de ces produits permettent d’employer une centaine de personnes, ainsi qu’à financer une école locale. Un produit d’exception au service d’un projet local et durable. C’est bien ficelé, et c’est volontiers qu’on fait notre marché dans la boutique de la plantation. On est même obligés de modérer notre enthousiasme, backpacking oblige.


L’heure tourne, et la faim se fait sentir. Mon cousin et moi reprenons notre balade, direction Kep et son fameux marché au Crabe. Ambiance de criée à front de mer, les pêcheurs relèvent leurs nasses toutes proches et nous proposent d’acheter directement leur prise. Merci les mecs, le prenez pas mal mais on va plutôt se rabattre sur une des petites gargottes qui bordent le marché, et où l’on peut consommer le crustacé tout aussi frais, mais déjà cuit et préparé. LE plat emblématique de la région, c’est naturellement le Crabe grillé au poivre de Kampot. Ni Geoffrey ni moi ne sommes des grands amateurs de crabe. Ou plutôt, nous ne l’étions pas, avant d’avoir choisi de faire honneur à la spécialité locale. On se régale, on en a plein les doigts, la chair du crabe cuite à point se marie super bien avec la sauce, mélange de poivre concassé et de citron vert. Trop bon. A peine besoin de riz, juste de quoi saucer. Vrai chouette moment de gourmandise partagée, le tout devant une vue imprenable sur la mer et l’horizon.


Enfin, retour vers Kampot pour une dernière activité: une mini-croisière sur la rivière qui traverse la ville. Bonne surprise, hormis le pilote nous sommes seuls sur le bateau. Les deux heures de balade au fil de l’eau sont l’occasion de discuter longuement avec Geoffrey, que je connais très peu malgré le lien de parenté qui nous unit. Un chouette moment, à admirer les magnifiques paysages de l’arrière-pays cambodgien en sirotant une bière fraîche, tandis que le soleil se couche lentement sur l’horizon. Quelques minutes plus tard, la nuit est tombée, et le pilote nous immobilise à côté d’une berge avant de pointer du doigt un arbre: des dizaines de lucioles s’y ébattent, difficiles à repérer mais bien présentes.


C’est aussi aujourd’hui que Geoffrey fête ses 30 ans. Histoire de fêter ça comme il se doit et de finir cette journée en beauté, nous décidons de retourner au Rikititavi. C’est aussi bon que le premier soir: j’en profite pour goûter un Saraman, un plat de fête cambodgien, curry de boeuf aux cacahuètes, à la cardamome et au gingembre. Original, la texture de la viande et de la sauce rappellent quelque peu la blanquette ou les carbonnades, en version plus relevée (on reste en Asie, faut pas déconner). On termine la soirée dans un bar-pub juste à côté de l’hôtel. Immense hangar bien aménagé mais presque vide, 21 (très aimables) serveurs pour 10 clients. Grosse marrade quand un des autres clients s’empare du micro, un moment qu’on partagera avec vous très bientôt. Happy happy birthday cousin, j’espère que tu te souviendras longtemps de cette journée ! ^^


Demain matin, ce sera déjà l’heure de dire au revoir à Jérôme et Olivier. So long guys: ce fut bref, mais comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, j’ai vraiment apprécié ces quelques jours passés en votre compagnie.


Pour Geoffrey et moi, la route continue: nous avons presque deux semaines devant nous, et un peu de temps à tuer avant de devoir rejoindre Phnom-Penh.


Et quel meilleur endroit pour ça qu’une île perdue au milieu d’une mer turquoise et une plage de sable blanc ?


[A suivre: Chapitre 13 - L’appel du Vide]